Memories of Retrocity – Bastien Lecouffe Deharme, alias « B. »

memories retrocityFrench Steampunk vous présente aujourd’hui le travail de B. et l’univers de Retrocity.

Ce qui surprend d’emblée dans l’univers de B. et de la Corporation qu’il a créée, c’est la fusion (et non pas la naturelle dichotomie) entre la chair et la matière. Alors qu’ils devraient se heurter, se blesser, les corps et les objets ne font plus qu’un. L’humain n’influe plus. Tombé de son pied piédestal, il s’est terré, invisible, cerné de matière sans vie devenue omniprésente, omnipotente. La technologie s’est développée à un tel point qu’elle en étouffe l’organique. Pour preuves, l’atmosphère à effet de serres, la fumée brouillard, l’horizon vertical des buildings, les rails qui tournent comme en rond, qui semblent voués à foncer dans le mur, des circuits qui mènent inlassablement à la claustrophobie. La fourmilière de la Cité et ses sucs, les tours dressées telles une trachée, un œsophage qui suffoque, un relent qui monte et descend. Sa société avale ou rejette, elle digère toujours. Du cannibalisme urbain.

Dans les contrées de B., l’humain croit qu’il peut encore se sauver… Or parce qu’ils sont les plus anodins, les plus familiers, les objets sont exactement les armes qui se retournent contre leur maître. Les plus cruelles, les plus efficaces. Le héros de Memories of Retrocity, dépendant d’un objet des plus archaïques, des plus démodés, mais des plus utiles pour lui, se retrouve malgré lui au rang d’innovation cybernétique. L’humain a atteint son comble de mutisme pendant que les objets, le désincarné, lui volent la faculté de maîtriser son destin. On est son plus grand ennemi, la menace provient de notre intérieur, de nos frustrations et désirs refoulés, nos obsessions virent au cauchemar. Fusionner avec son objet fétiche, son outil de prédilection, c’est l’addiction malgré soi, l’attraction dans toute son horreur. Le néfaste de l’affect.

Alors que la population subit ce rétro-processus technologique, clinique, robotique, le traitement des couleurs est à l’inverse. La machine, le métal, sont cramoisis, couleur sang ou miel, leur rouille est chaude. Le cordon reste ombilical. Quand simultanément, les personnages apparaissent blafards, vulnérables, ectoplasmiques, bleutés par la mort menaçante. Des citoyens perce une lueur mono dirigée, un rayon jaillit de l’œil devenu monocle ultra perfectionné, dans lequel les lecteurs, s’évertuent à encore y trouver de la chaleur.
La maîtrise de la lumière dans les œuvres de B., se produit en douche de scène. Comme une étoile dans son solo de mise à mort. La scène, le théâtre des opérations, le huis-clos du dévorement où l’être humain n’est même pas mâché, les cellules d’appartement dont les murs se rapprochent, les murs dressés de la cité, tout concourt à l’impartial. L’humain croit diriger alors qu’il est digéré.

Dans notre culture occidentale, les tableaux sont des fenêtres ouvertes sur le monde. B., lui, offre des fenêtres qui se ferment sur elles-mêmes. Ce n’est pas le tableau qui s’ouvre sur le monde, mais notre regard qui est happé dans ce tube en huis-clos. Ainsi, B. affirme lui-même révéler «les sombres penchants d’une société malade». Posséder un objet certes, mais se trouver possédé de manière encore plus affamée par lui ! Ce qu’il signifie, c’est que nous ne serons jamais capables d’imiter leur implication. L’hermétique barrière chair/ objet, Stark et Giger l’ont déjà ébranlée. Mais pas dans ce contexte de société entière, mangeuse d’hommes.

retrocityLe steampunk travaille toujours à modifier le mobilier, les vêtements, les moyens de locomotion. C’est l’être humain qui interfère, qui influe sur la matière. Dans sa définition, il propose en effet une rétro-découverte dévouée à l’humanité. Dans un cadre de fin XIXe, les citoyens s’extasient de créations technologiques qui font avancer la société; on les regarde, on les crée aujourd’hui afin de les regarder d’un œil amusé ou nostalgique, on leur confère un pouvoir merveilleux. Il s’agit majoritairement d’une «très forte dépense d’énergie pour un rendement mécanique faible». La magie et le charme retrouvés des balbutiements. La vapeur révolutionnaire, le steampunk, offre l’humidité et la chaleur aux machines, il leur donne un semblant de vie. L’avancée humaine y a pour esclaves les machines, une énergie leur est transfusée, on leur infiltre de l’eau, du feu, du charbon, pour les mouvoir, on accorde notre souffle vital, on le calque, en accord avec notre respiration, au cœur d’un nouveau bolide. Le but est le rendement, aller plus loin, plus haut. L’homme est divin, il reste le maître.

Là où réside la force de B., c’est de faire muter l’humain, malgré toute sa volonté, il s’altère par le biais de la machine, il s’acharne, s’évertue à combattre l’arrivée de l’inertie. C’est une énergie humaine vitale qui faiblit, faiblit, sous l’essor invulnérable de la machine. Il accorde à la matière sans âme une marche meurtrière qui ne nous fait plus sourire, il nous immerge dans un processus où l’évolution de la société n’est pas faite pour nous assister. Bien au contraire, elle nous enterre, nous étouffe depuis nos propres entrailles, elle s’insinue en virus mortel. Dans chaque fluide corporel, chacun de nos os, dans chaque nerf, s’immisce l’injection létale, la mise lente à néant. L’huile, l’encre, l’électricité, sont notre nouveau sang, notre nouvelle sève, nos diaphragmes deviennent des respirateurs artificiels.
Plus qu’apocalyptique, plus que rétro-futuriste, son univers est fataliste. Scellé. L’immortalité n’est plus là façonnée pour servir l’humain, mais pour l’asservir.

C’est la machine, l’objet désincarné, la cité entière, qui ne respire pas, qui nous pénètre et nous rende inertes. Au lieu de s’étendre vers les cieux, la société de B. croule sous son propre poids, jusque dans les sous-sols, un trop plein d’excréments au cœur duquel se volatilise l’âme humaine. B. crucifie l’ être divin, il le place, le cloue désemparé par le non futur, une seconde vie remplace le fantôme de corps, comme une taxidermie. Transparent, l’être humain est désacralisé.
De ses propres mots, «Là ou le steampunk présente de la vapeur sortant des machines et des usines, chez moi il s’agit de fumées de cigarettes, sortant des corps de ceux qui défient la mort en risquant le cancer … car la vie n’a peut être plus tant de valeur dans ce monde. Les humains de Retrocity fument autant que les cheminées de la ville !»

En se servant des mêmes rouages du steampunk, B. change radicalement les lois de la nature, il modifie l’ordre établi avec toute l’ironie que lui offre la connaissance des règles du genre. Une parfaite maîtrise de joker.

L’auteur : memories-of-retrocity

Bastien Lecouffe Deharme, alias  » B. « 

Mettre ses textes en images ? Raconter ses illustrations ? Pour Bastien Lecouffe Deharme, alias « B. », l’écriture et les images ne vont pas l’un sans l’autre. C’est ainsi qu’il a bâtit Retrocity, puisant dans ses références encrées depuis l’enfance: les classiques de la Science-Fiction, mêlés d’une bonne dose de Romans Noirs, de cinéma et de musique.
Dessinateur, peintre et photographe , il utilise l’outil digital pour mixer ces différentes techniques. Il aime utiliser la photographie pour « prélever » des éléments de notre réalité, pour les faire basculer dans une autre. Retrocity, la ville de son roman-graphique, est construite avec des morceaux de réel.
Parallèlement, il réalise des couvertures de romans, chez Gallimard, Pocket, Fleuve Noir (et de nombreux autres), pour des auteurs tels que Chuck Palahniuk, Franck Herbert, H.P.Lovecraft, Theodore Sturgeon, Robin Hobb, Mélanie Fazi …
Au delà de son activité d’illustrateur, il réalise de nombreuses pièces destinées à l’exposition, et prend parfois le rôle de directeur artistique. Notamment pour des évènements tels que les expositions Venus Robotica et Phantasms au Cabinet des Curieux (Paris), en association avec Thierry Ruby.
Bastien Lecouffe Deharme est âgé de 29 ans et vit désormais aux États-Unis.

Memories of Retrocity est disponible à la réservation sur www.retroprocessus.com et en librairie le 15 Mars 2011

Site de B.

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