Retro-Future Vagabond, le vinyle testamentaire d’Abney Park

Couverture du vinyl Retro-Future Vagabond

Sorti en 2014, Retro-Future Vagabond d’Abney-Park (SoundsUP Records, édité en Allemagne), l’un des seuls albums du groupe originaire de Seattle en format vinyle reste quasiment introuvable sur le marché. Il a été édité à cinq-cents exemplaires à travers le monde. Un artefact que Robert Brown, leader du groupe, considère comme un leg musical, symbole de l’empreinte d’un groupe créé il y a vingt-sept ans et qui a conceptualisé la musique steampunk : Abney Park.

« Retro-Future Vagabond n’est ni un “best of” ni une compilation de “grands succès”, mais plutôt un recueil de morceaux que je juge suffisamment importants pour vouloir les graver sur le seul support musical permanent qui reste à l’humanité. Avec un peu d’attention, un disque peut encore être écouté dans des centaines d’années. C’est notre héritage. », Robert Brown (communiqué de presse)

La pochette…

La pochette de l’album dévoile une esthétique vintage typique des 78 tours des années La pochette de l’album dévoile une esthétique vintage typique des 78 tours des années 1920. Le sigle du label de la Victor Talking Machine Company (1901-1929) avec le chien Nipper est présent sur l’objet, hommage à l’un des principaux producteurs de disques du début du XXe siècle. De part et d’autre, ainsi qu’en haut, se trouve le logo d’Abney Park. À l’intérieur de la pochette, tout l’univers steampunk du groupe est présent : les dirigeables au-dessus d’une mer de vapeur et une cité mystérieuse pouvant représenter High Tortuga, localité typique de l’imaginaire de Robert Brown. De magnifiques dessins sont exposés sur la seconde pochette qui enveloppe le disque. Sur la première face : des pirates des airs s’affrontent à bord de dirigeables, un homme se tient sur un navire. La seconde face montre un airship, en provenance direct du monde de la piraterie, amarrant à un quai.

Couverture du vinyl Retro-Future Vagabond

Couverture du vinyl Retro-Future Vagabond

4eme de couverture du vinyl Retro-Future Vagabond

4eme de couverture du vinyl Retro-Future Vagabond

“Retro-Future Vagabond” ou “Steampunk” ?

Analysons d’abord le titre. Selon le CNRTL (Centre national des ressources textuelles et lexicales), le vagabond ou la vagabonde “se déplace”, “erre sans cesse” et “mène une vie sans but”. Quelqu’un qui vit à la marge des normes, de manière anticonformiste. Selon la même source, le terme fait aussi écho “à ce qui est poussé à l’errance, à l’exode par des événements politiques, climatiques”. Le rétrofuturisme est un genre ou une esthétique qui synthétise l’uchronie (“que ce serait-il passé si…”) et la Science-fiction, genres qui, tous deux, réécrivent l’histoire. Le titre de l’album pourrait donc renvoyer à quelque chose ou quelqu’un – à Abney Park peut-être – qui mène une existence anticonformiste en réécrivant l’histoire.

De fait, Retro-Future Vagabond peut se réduire au seul mot “punk” qui, ici, désigne une contre-culture, une idéologie “Do It Yourself” (Fais-le toi-même) allant contre la société de consommation. Symbole de la musique punk, Sex Pistol sortait le titre “God Save The Queen (No Future)” en 1977 : un drôle d’écho à Retro-Future Vagabond, objet testamentaire pour l’avenir. Plus généralement, l’intitulé du disque aurait pu se synthétiser au terme “Steampunk”, culture dont le groupe est pionnier dans le domaine musical.

Retro-Future Vagabond d’Abney Park, un trésor musical pour définir le groupe

Réécrivons l’histoire et imaginons que des pirates des airs aient effacé toutes les musiques d’Abney Park. Il ne nous reste, à nous, citoyennes et citoyens de l’année 2150 qu’un seul témoignage, un trésor musical de dix titres issus d’albums différents pour découvrir le groupe steampunk :

Face A

  1. « Airship Pirate » – 4:00
    Des pirates de l’air ivres tentent d’aborder d’autres navires dans le ciel, ils représentent un danger pour les autres mais aussi pour eux-mêmes. Des bruits de moteurs de dirigeables fendent le ciel, batterie, rythmique à la guitare électrique, des cuivres, un violon.
  2. « Scupper Shanty » – 2:56
    Trompé par l’un des leurs, une mutinerie a lieu dans un navire volant. L’équipage se prépare à un combat déséquilibré dans lequel personne ne se fait confiance.
  3. « Follow Me If You Want To Live » – 3:23
    Cette musique appelle à briser ses chaînes et à chercher la liberté en s’évadant vers un avenir meilleur.
  4. « Sleep Isabella » – 4:27
    Une berceuse pour endormir Isabella, en lui promettant des rêves doux et rassurants. Cette œuvre utilise une gamme dominante phrygienne de do (do, ré bémol, mi, fa, sol, la bémol, si bémol) aussi appelée “gamme Ahavah Rabbah” (mode Klezmer) ou “gamme Freygish”. “Ahavah Rabbah” veut dire “avec un amour abondant” en hébreu. Une musique pleine de tendresse à destination de la petite Isabella.
  5. « Not Silent » – 4:06
    Les paroles évoquent la solitude et l’impuissance face à une société où l’intolérance est prédominante, tandis que les personnes tolérantes restent silencieuses.

    Face B
  6. « Off The Grid » – 2:37
    Titre que l’on pourrait traduire par “Hors des cases”. Captain Robert explique que la liberté et les rêves doivent être valorisés, sans dévouer sa vie à la conformité.
  7. « The Story That Never Starts » – 4:07
    Abney Park encourage son auditorat à suivre ses rêves et à ne pas laisser les autres nous influencer, au risque de ne pas commencer l’histoire que l’on veut écrire.
  8. « Until The Day You Die » – 2:46
    Les paroles de cette musique nous poussent à réaliser nos objectifs malgré les critiques, jusqu’à la mort.
  9. « The Anthropophagists’ Club » – 3:38
    Un personnage qui, attirée par le Cabaret des Anthropophages, se laisse piéger par une figure féminine et se retrouve dans une situation cauchemardesque.
  10. « Chronofax (Letter Between A Little Boy & Himself As An Adult) » – 4:19
    Dans ce dernier titre, il est question d’un dialogue entre un homme adulte et son moi enfant, utilisant le Chronofax, une nouvelle technologie pour communiquer à travers le temps. L’adulte a perdu son enthousiasme pour la vie, mais il réalise, grâce à son lui enfant, qu’il doit retrouver sa passion et se battre pour retrouver son âme.
Intérieur de la pochette du vinyle Retro-Future Vagabond

Intérieur du vinyle Retro-Future Vagabond

Des paroles…

Impossible de parler du groupe sans évoquer l’importance de la narration, aussi bien dans la “steamsonnalité” du groupe, avec la profondeur historique apportée à chacun des membres, que dans la scénographie et les paroles :
« Les fans peuvent y entendre l’histoire d’un jeune homme qui essaie de s’en sortir d’un monde post-apocalyptique. Il vit dans le ciel à bord d’un dirigeable de l’époque victorienne et se bat contre un environnement hostile. » Robert Brown (Le Guide steampunk, A. Morgan, E. Barillier, ActuSF, p. 260)

De par leurs paroles, les titres de Retro-Future Vagabond peuvent être classés dans deux premières catégories : l’anticonformisme (Follow Me If You Want To Live, Off The Grid, The Story That Never Starts, Until The Day You Die, Not Silent, Chronofax / Letter Between A Little Boy And Himself As An Adult), l’imaginaire (Airship Pirate, Scupper Shanty, The Anthropophagists’ Club).

À la musique…

Qualifier l’album de “musique steampunk” est évident. D’autres qualificatifs peuvent lui être apposés : New Age, Industrial Metal, Dark Cabaret, Folk, World Music, Swing jazz. Ces nombreux styles et genres montrent la complexité et la richesse de la musique steampunk.

De plus, il est important de noter que toutes les tonalités de l’album sont en mode mineur, empreintes d’une certaine mélancolie. Puisque liée à la musique et non aux paroles, une dernière catégorie peut être citée : le nomadisme (Sleep Isabella). Cette dernière musique est différente d’un point de vue tonal car elle utilise une gamme klezmer caractéristique de la tradition juive ashkénaze. Elle peut faire référence aux nombreux voyages qu’a effectués Robert Brown, desquels il s’est beaucoup inspiré pour composer. Des effets vintages et rétros des années 1920 sont utilisés (Chronofax, Until The Day You Die, The Anthropophagists Club), comme des grésillements, des instruments typiques de ces années dans les cabarets, avec une trompette, une batterie, un piano, une voix féminine jazzy et rétro. La touche personnelle d’Abney Park est l’ajout de la guitare électrique, entre autres.

Même si cet enregistrement ne dévoile pas un “best-of” des musiques d’Abney Park, il synthétise tout l’univers du groupe aussi bien visuellement que musicalement, avec tout son imaginaire.

Que restera-t-il de la musique steampunk en 2150 ? Ce vinyle, peut-être. Quoiqu’il en soit, le mouvement steampunk prévoit le passé mais il doit aussi se projeter dans l’avenir et laisser un héritage comme celui de Retro-Future Vagabond.
En attendant l’avènement du prochain siècle, nous vous recommandons de suivre toute l’actualité d’Abney Park sur leur site officiel : https://www.abneypark.com/

A propos de Michaël Reibel 2 Articles
Michaël Reibel est un vaporiste diplômé en musicologie, chef de chœur et animateur radio.