J’allais vous parler des franges du steampunk les plus méconnues, celles allant de l’hommage le plus improbable à un érotisme parfois un peu surprenant. Autrement dit, j’allais m’amuser et j’avais la ferme intention de vous amener avec moi.
Et voilà qu’Eclipse a eu la très bonne idée de publier la traduction d’un petit texte de l’auteure américaine Cherie Priest (vous pouvez consulter la version originale ici). Je vous laisse le temps de la lire et nous reprendrons juste après.
Le steampunk n’a jamais été théorisé. Jamais. Le cyberpunk, lui, l’a été dès sa naissance par les auteurs mêmes qui l’ont fait naître et mourir. La nuance est extraordinaire. Le cyberpunk s’est positionné radicalement, aussi bien d’un point de vue idéologique qu’esthétique. Il a bouleversé la manière même d’écrire de la science-fiction en lui injectant une dose furieuse et électrique de modernité. On pourrait aller jusqu’à dire que tout est dans la première phrase de Neuromancien de William Gibson, « Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service. »
Du côté du steampunk, nous avons trois jeunes écrivains californiens — Jeter, Blaylock et Powers — qui ont écrit leurs romans et qui sont passés à autre chose. Ne parlons pas d’intuition géniale ni de découverte extraordinaire. Le steampunk existait avant qu’ils ne le nomment. Mais ce nom a tout changé. D’un seul coup, on a pu dire « Mais… c’est du steampunk ! » sans vraiment se poser la question de ce que recouvrait le terme.
Pourquoi ? Parce que le nom claque et qu’il permet de sentir immédiatement de quoi on parle.
Mais ce n’est qu’un nom. Ce n’est que cela. Pour ne pas être trop long, je remets à plus tard une discussion nécessaire sur ce qu’est le steampunk au sens strict. À ce moment nous pourrons nous casser les dents sur le fait que Les Voies d’Anubis, premier véritable roman steampunk comporte de la magie… Revenons pour l’instant sur les noms du steampunk.
Après son baptême, le steampunk a poursuivi sa vie et, fidèle à sa nature profondément mobile et fluide, il s’est sans cesse adapté, à mesure que de nouveaux artistes ne cessaient de le réinventer. C’est pour cela que le steampunk peut être victorien (ou édouardien), qu’il peut se dérouler dans une Belle Époque francophone ou dans les États-Unis de la guerre d’indépendance. C’est pour cela qu’il peut emprunter sans vergogne des éléments et des codes de la fantasy, du merveilleux, de la science-fiction et du policier. Avec le steampunk nous sommes à la croisée des chemins ; de multiples perspectives s’ouvrent à nous sans qu’aucune ne soit exclusive à l’autre.
Cherie Priest formule une synthèse assez élégante de tout cela :
Eh bien, je ne pense pas qu’il soit vraiment nécessaire de tout catégoriser, mais si vous y tenez vous avez le stitchpunk, le dieselpunk, le gaslightpunk, le steamgoth et bien d’autres variantes. Mais je pense sérieusement que tout cela tombe dans l’escarcelle du steampunk.
Décodons :
- stitchpunk : le punk de la couture. Pensez au film 9, aux univers de Tim Burton (avant la Planète des Singes, quand il faisait encore des films), ajoutez les yeux de Coraline et voilà comment la manie de nommer peut créer un sous-sous-genre.
- dieselpunk : Prenez le steampunk et jetez-le dans un univers de l’après-guerre (la deuxième, bien sûr). Nous sommes en plein rétrofuturisme, Dan Dare et Flash Gordon doivent courir dans un coin. Pensez alors au film Captain Sky et le monde de demain et vous y êtes. Le dieselpunk est à mes yeux le seul genre que l’on peut différencier intelligemment du steampunk.
- gaslightpunk : Le terme m’étonne. Est-ce une variation du gaslight romance de John Clute (Encyclopedia of Fantasy, 1997) ? Pour lui, il s’agit d’une forme de l’urban fantasy à distinguer du steampunk historique car ne reposant pas sur un anachronisme technologique. Il la définit comme mélancolique, une littérature du crépuscule et du brouillard. Il cite en exemple Anno Dracula de Kim Newman (1993).
- steamgoth : nous dépassons le sous-sous-genre. Disons un cocktail composé d’une dose de goth pour deux de steampunk (servir agité mais non frappé). De mon point de vue, le terme vient d’une réappropriation de l’esthétique steampunk par la communauté goth.
- On pourrait ajouter le clockpunk, où le point de déviance avec notre histoire est une technologie basée sur le rouage et l’horlogerie, un bel exemple étant l’épisode « The Girl in the Fireplace » de Doctor Who (bande annonce). Sans oublier d’évoquer l’atompunk (oui, Mad Max 2, parce qu’en terme de post-apocalyptique cinématographique, on n’a toujours pas fait mieux).
Deux possibilités s’offrent à nous alors. Soit nous nommons chaque itération, dans un mouvement frénétique d’identification et de codification. Soit nous restons sur le terme steampunk, que nous utilisons alors dans sa pleine valeur générique. Bien évidemment cela ne nous empêchera pas de nous disputer entre personnes de bonne volonté sur les valeurs et mérites de telle ou telle classification. Mais ce ne sera qu’un jeu entre gentlemen, c’est-à-dire suffisamment vain pour être pris avec sérieux, et suffisamment sérieux pour être pris avec légèreté.
PS.: Revenons à Cherie Priest quelques instants. Je ne vais pas faire ici la critique de son roman, il n’en a pas besoin. Par contre je vais vous donner trois raisons pour lesquelles vous devez absolument l’acheter.
- Tout d’abord son approche du genre est revigorante. L’action se déroule à Seattle, à la fin du XIXe. Il mêle joyeusement zombies, duels entre dirigeables et s’affirme comme un grand roman d’aventure. Rien que cela devrait changer pas mal de vos conceptions du steampunk. Nous sommes loin de l’Europe mais bel et bien plongé dans une jeune Amérique en pleine déliquescence.
- Ensuite c’est un roman dont les personnages fonctionnent parfaitement. La mère, pleine de blessures et de silence, le fils, adolescent rebelle sont les deux héros d’un texte entièrement construit autour d’un secret familial. Le livre alterne les points de vue alors que l’une est à la recherche de l’autre, les révélations se succèdent et nous profitons du circuit façon grand huit.
- Enfin, ce roman est publié par une maison d’édition qui se lance dans l’aventure d’une collection portant le label steampunk. Mince. Les livres ne sont pas chers, et Boneshaker vous promet quelques belles heures de lecture. Et en plus vous aurez un livre qui porte la mention steampunk sur la tranche. Que demander de plus ?
Etienne Barillier