
Correspondances: Une série d’explorations dans les racines du Steampunk Français.
Par S.J.Chambers
Exposition 1: le Symbolisme
Le Ballon, Puvis de Chavannes, 1870
Le mouvement Symboliste est apparu pour sauver l’individu du Positivisme, cette philosophie populaire qui exigeait que le monde ne soit explicité et amélioré que par la raison scientifique et la technologie. Comme le décrit le poète Gustave Kahn: «Il est évident que ces gens-là sont seulement à la recherche de ressources, et la source des rêves se tarit.» Tandis que le Positivisme (voir aussi le Réalisme ou le Naturalisme) tentait d’analyser la conscience sociale, le Symbolisme chercha à participer à l’inconscient social par le biais du solipsisme, et explora les illusions, les tabous et la morale spirituelle que le Positivisme essayait d’écarter car inutile dans un monde industriel.
L’Apparition, Gustave Moreau, 1876
Cela a mené à la création de mondes uniques remplis d’un langage visuel étrange et idiomatique, au sein de leur travail. Les toiles mythologiques de Gustave Moreau abondent en sphinx, licornes, anges, démons et femmes fatales. Ces créatures imaginaires y dansent, galopent, hantent et bénissent des héros sous des cieux diaphanes et une architecture gigantesque.
Génie sur les eaux, Odilon Redon, 1878
Odilon Redon évoqua une magie atmosphérique similaire en exploitant un espace positif et négatif pour invoquer des atmosphères qui rejetaient la narration traditionnelle et juxtaposaient des images inattendues pour créer des suggestions visuelles du sujet. Moreau et Redon travaillèrent à créer un monde parallèle dans lequel la vraie nature de l’être humain pouvait être questionnée, discussion que les symbolistes et eux-mêmes voyaient perdue dans un monde naturaliste crée par une société industrielle.
Ce phénomène semble spécifique à la fin-de-siècle, mais les Symbolistes ouvrirent cette conversation sur laquelle les Surréalistes dissertèrent également, ils se concentraient sur le rationnel des rêves, conversation toujours ouverte aujourd’hui, au travers du Steampunk.
Jesus War Machine, Sam Van Olffen, 2011
Peut-être le meilleur exemple de l’allégeance du Steampunk Français au Symbolisme est le travail de Sam Van Olffen. Comme eux, il a crée un monde unique qui recouvre l’histoire et la mythologie, mais marrie les aspects mystiques à l’iconographie Positiviste de la technologie, juxtaposée à l’esthétique du Second Empire.
Alors que, bien entendu, les Symbolistes évitaient d’inclure la technologie dans leur travail, Van Olffen la transforme en mises à jour a-historiques qui réécrivent les légendes et les mythologies Françaises, dans un cadre qui fonctionnerait en 1870 comme en 2070. Les Saints sont toujours présents, mais les bêtes qui se nourrissaient de la nature profonde de l’être humain sont remplacées par des monstruosités mécaniques voraces ou encore des catastrophes.
Le Triomphe d’Alexandre Le Grand, Gustave Moreau, c. 1885-1892
Ses échantillons graphiques évoquent l’architecture imposante et la mise en scène remplie de compositions dynamiques de Moreau, une étrangeté et un calme dérangeant que l’on trouve chez Redon, surtout quand il opte pour une palette noire et blanche, et réinvente le halo et la « lumière spirituelle » émanant des idoles Symbolistes, en une illumination plus séculaire.
Jeanne d’Arc: L’Annonciation de Saint Michael, by Sam Van Olffen, 2011
Sa récente série Jeanne d’Arc est un exemple de premier ordre de l’influence Symboliste à l’œuvre. Bien que la Sainte de Rouen soit entourée de ponts en métal et d’iconographie industrielle, et à des lieues du cadre pastoral que l’on trouve dans La Vision d’Osbert, son troupeau est à portée de main et offre la seule connotation de la fille sans visage au moment de l’Annonciation.
Vision, Alphonse Osbert, 1892
Le mélange mythologique de l’Annonciation et de l’histoire de Jeanne d’Arc démontre également la tendance des Symbolistes à exposer et à construire d’autres niveaux sur une mythologie déjà existante. Il est difficile d’en être sûr, mais cette allégorie pourrait être interprétée comme une Jeanne d’Arc, non seulement martyre d’un Paris qu’elle a sauvé, mais aussi du chemin ardu du progrès historique.
Jeanne d’Arc: Le Procès, Sam Van Olffen, 2011
Dans le Procès de Jeanne d’Arc, la lumière qui s’écoule dans le tribunal consacre et ordonne Jeanne, qui est transformée pendant sa persécution. Non seulement peut-on y voir Dieu touchant la bergère, mais aussi la Nature transcendant la rationalité de la Science. Dans la bataille entre le Positivisme et le Symbolisme, le Positivisme bat le Rêveur, peu importe à quel point elle brille, avec ses armes, ses murs de cité imposants, et son propre troupeau de moutons humains.
La tour Eiffel, Louis Welden Hawkins, 1889
Et bien, cette analyse a fini par être un peu sombre, n’est-ce pas? Apportons un peu de lumière en regardant de plus près le Symbolisme. Tandis qu’il écrivait de la poésie et peignait des allégories pénétrantes pour l’esprit, il récoltait en société les bénéfices que le « progrès » plantait. Grâce au génie civil de Hausmann, le Symboliste, connu pour être un Dandy, appréciait des promenades le long des grands et droits boulevards, s’émerveillait devant la construction de la Tour Eiffel, et s’adonnait à une vie de bacchanales dans les nouveaux cafés et les clubs de nuit.
Le Comte Robert de Montesquieu, Giovanni Boldini, 1897
Malgré le fait que le Symboliste Dandy n’approuva sûrement pas la revitalisation urbaine, il profita néanmoins de chaque plaisir qu’il pouvait tirer de ce nouveau style de vie urbain. Il en profita jusqu’au point de la caricature. Le gentleman que vous voyez au-dessus, le poète Symboliste Robert de Montesquieu, est peut-être l’un des Dandys les plus connus. On dit qu’il fût le modèle de Huysmans pour Des Esseintes, et celui de Proust pour Charlus. Son personnage distingué et sa légende de Dandy ont duré jusqu’à aujourd’hui pour inspirer un des plus grand dandies du Steampunk, Maurice Sandalette.
Réclames pour Les Historiettes,
Futuravapeur and AnXiogène, 2010
Les Historiettes de M.Sandalette par Futuravapeur et AnXiogène suivent l’éponyme Dandy lors de ses aventures surnaturelles et comiques, dans un Paris fin-de-siècle, et faisant allusion à la fameuse moustache et à la nonchalance dandy de Montesquieu, comme aux classiques de la science-fiction tel « 20 000 lieues sous les mers » de Jules Verne, ou encore « La Guerre des mondes » de H.G.Wells.
Eleonora Duse, photographe inconnue,
et Sarah Bernhardt dans le rôle de Théodora, Félix Nadar, 1884
Roman daguerréotype, ce « précurseur » du roman graphique utilise les poses théâtrales et les expressions du visage dans chacun des cadres. Les mouvements exagérés me rappellent les portraits daguerréotypes des fameuses actrices de théâtre, Eleonora Duse et Sarah Bernhardt, en costume, et dont la présence énigmatique est parfaitement répliquée par l’assistante de M.Sandalette, Dolly Prann.
Les Historettes de Mr. Sandalette, Episode 1,
Futuravapeur and AnXiogène, 2010
Tous ces divers éléments fonctionnent ensemble, pour créer, comme Van Olffen, un monde très distinct, avec ses propres règles, mais sans jamais hésiter à y trouver de l’humour. Néanmoins, ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans M.Sandalette, c’est que cet humour n’appartient pas au siècle qu’il satirise. Quand Futuravapeur et AnXiogène saluent respectueusement la fin-de-siècle et les maîtres classiques et spéculatifs comme Verne, Wells et Lovecraft, il perce également une pointe d’ironie, un sens de l’absurdité et une appréciation merveilleuse du jeu qui m’a fait commencer à réfléchir à cette question: y a-t-il de la place pour les Dadas dans le Steampunk?