Poe, un auteur aux couleurs du Steampunk Français

L’influence d’Edgar Allan Poe (1809-1849) sur le Steampunk Français est double :

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Tout d’abord, il y a la science-fiction innovante dont Poe fait preuve et qui influencera fortement le père Steampunk, Jules Verne. Puis, il y a cette empreinte profonde qu’il laissa aux artistes et écrivains français de la fin-de-siècle, et qui utilisèrent les idées de Poe concernant l’effet et la synthèse, pour lancer les mouvements Symboliste et Décadent, une esthétique aujourd’hui revisitée dans les travaux de nombreux artistes Steampunk Français.

Les Symbolistes trouvèrent dans Poe un subconscient onirique et psychologique qui fut le cœur de la réalité et de l’imaginaire de leur art; ceci était exprimé de manière très claire dans l’écriture de Poe, mais pas consommé massivement. En se concentrant sur les éléments artistiques de la fiction de Poe, les Symbolistes illustrèrent ce qu’on ne pouvait atteindre qu’au travers du « rêve dans le rêve ».

Poe fût introduit en France par Charles Baudelaire (1821-1867), quand ce dernier traduisit et publia sa prose. A cette époque de sa vie, Baudelaire avait développé une esthétique propre, dont la meilleure illustration se trouve dans son travail poétique Des Fleurs du mal, en 1852. Baudelaire avait crée un concept de beauté ambiguë, où l’acte de créer avec tous ses sens provenait d’un récit d’ambiance qui présentait une alternative à la réalité. En 1847, Baudelaire craignait que sa vision soit incomprise et perdit confiance. C’est dans ce moment de doute qu’il découvrit Poe, quand il lut en 1847 une traduction Parisienne de son ouvrage « Le Chat noir ». Il trouva dans cet homme, de l’autre côté de l’océan, ce qu’il pensait être sa propre et unique pensée.
« Aucun homme, … » écrit-il plus tard à propos de sa découverte, « n’a exprimé avec tant de magie les exceptions de la vie humaine et de la nature. Les curiosités fébriles de la convalescence, les saisons mourantes chargées de splendeurs affaiblissantes; les zones de tropique; les jours brumeux, chauds et humides, où le vent du sud calme et distend les nerfs comme les cordes d’un instrument… »
Quand il trouva cette âme sœur transatlantique, Baudelaire investit la majeure partie de son énergie créatrice, non plus dans son propre travail, mais pour promouvoir, traduire, et écrire sur Poe en France.

Le successeur de Baudelaire, Stéphane Mallarmé (1842-1898), poursuivit la croisade de Baudelaire en traduisant des poèmes de Poe après la mort de Baudelaire en 1867. Comme Baudelaire, les théories d’écriture de Poe frappèrent Mallarmé en plein cœur.  Dans ses Marginalia, Poe définit l’art comme: « la reproduction de la perception que les sens ont de la Nature, au travers du voile de l’âme. » Quelle qu’en soit l’exactitude, la simple imitation de ce dont recèle la Nature, ne donne le droit à aucun homme de s’accorder le nom sacré d’Artiste… ».

Cette théorie frappa fortement Mallarmé. Dans ses lettres, il réitéra les principes et les pratiques de Poe et encouragea d’autres poètes à les appliquer: « le premier mot, qui comprend la première idée, non seulement aide à créer l’effet général du poème, mais sert  également à préparer le dernier mot… plus je vais loin, plus je serai fidèle à la stricte idée que j’ai héritée de mon grand maître, Edgar Poe. » Néanmoins, Mallarmé avait une manière différente de lire Poe. En écrivant sur l’esthétique de Poe, il altéra la définition que Poe avait de « moral », une allégorie ou un didactisme au sein du récit afin de soutenir l’effet et de définir une philosophie de l’art: « Cette lecture de Poe modifie la vision du discours artistique… » écrivit l’historien d’art, Jean Hudson, dans sa thèse Charming the Imagination: Symbolist responses to Edgar Allan Poe In the Art of Odilon Redon and James Ensor, « une œuvre d’art est de plus en plus perçue comme une entité autonome et auto-référentielle, et les question au sujet de l’art concernent d’avantage les méthodes et l’acte de créer que quoi que ce soit d’autre qui se trouve en dehors du travail ». Pour Mallarmé, cette interprétation était le paradigme poétique et il passa sa vie, peut-être avec encore ardemment  que Baudelaire, à répandre l’influence de Poe parmi ses pairs, les Symbolistes.

La théorie Symboliste se développa non seulement sous Mallarmé, mais aussi en conjonction avec le rejet des Naturalistes et des Réalistes qui prônaient une description de la vie sans aucune exagération. En adhérant au courant de la raison et de la technologie Positivistes, ces mouvements s’intéressaient d’avantage aux problèmes sociaux, et moins à l’imagination. Ils reflétèrent l’effet de la Révolution Industrielle que Poe avait craint dans sa jeunesse, et qu’il exprima dans « Sonnet à la science. » Les Symbolistes voyaient dans la logique de la science, de l’industrie et de la progression du commerce, un besoin matériel de la société, mais aussi une usurpation irréalisable de l’individu. Ainsi, ils s’attelèrent à marier la science et l’art en explorant ce que Poe aurait appelé « le Monde des rêves », et ce que nous appelons aujourd’hui le subconscient.

Grâce à la fervente défense de Baudelaire et de Mallarmé, Poe fit finalement partie du paysage littéraire Français (peut-être même plus que dans son pays natal), comme le résume un spécialiste de Poe, Lois D.Vines: « A partir de Mallarmé, l’influence de Poe sur les écrivains Français diverge radicalement. Les Symbolistes (Mallarmé, Kahn, de Gourmont, Moréas, Vielé-griffin, Ghil et Valery) admirent chez Poe sa pensée ordonnée, ils voient en lui le maître du calcul artistique. A la différence des Décadents (Huysmans et Villiers de l’Isle-Adam), et des pre-Surréalistes  (Rimbaud, Lautreamont, Jarry et Apollinaire), qui étaient attirés par l’horreur, le mystère, les rêves et l’exploration d’un esprit dérangé, ce que (le Surréaliste) André Breton appellera plus tard la « beauté convulsive. »
Pendant que les Symbolistes exploitaient une esthétique dans la poésie de Poe, un écrivain Français, en dehors du courant des Symbolistes ou même d’aucun courant de son temps, commença à percevoir un autre Poe, le Poe qui inventa le raisonnement déductif, maîtrisait l’authenticité et le réalisme, et se servait de sa fiction comme d’une expérience de pensée pour prédire le futur et des ballons dans le ciel. Lorsque Jules Verne « lut les traductions de Poe par Baudelaire dans divers journaux et revues… », explique David Standish dans son livre Hollow Earth, « elles touchèrent quelque chose en lui. C’était néanmoins quelque chose de différent de la corde sensible et solennelle que Poe avait touchée chez Baudelaire. Verne répondait surtout à l’intelligence, à la ratiocination et aux signes extérieurs scientifiques contemporains  dans lesquels Poe implantait ses histoires. »
Au sein de nombreux ouvrages de Verne, on trouve des prototypes de Poe. « Ballon Hoax » et « Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall » influencèrent « Cinq semaines en ballon ». « Le Sphinx des neiges », suite des « Aventures d’Arthur Gordon Pym », est dédiée à Poe.  Quant à Le Tour du monde en 80 jours, il utilise le même concept que « La Semaine des trois dimanches ».
L’ouvrage le plus connu de Verne, 20 000 Lieues sous les mers, est le plus subtil et fortement Poesque dans sa tonalité et son caractère. Verne remplace le « moral » que Mallarmé et d’autres rêveurs obscurcissaient, par le personnage du Capitaine Nemo, qui est tout à fait un protagoniste de Poe.
Solitaire, veuf, passionné jusqu’au point de la folie, et en guerre avec le monde qui ne le comprend pas, le Capitaine Nemo s’enferme dans un vaisseau qui, non seulement reflète l’attention que portait Poe aux machines, mais fait écho aux cadres sensuels de Poe avec des peintures, des livres luxueux, des instruments et des artéfacts  exotiques. La souffrance silencieuse de Nemo, sa privation de tout confort humain et son dédain flagrant de la société, invoquent Hans Pfaall, Roderick Usher et Monsieur Dupin. Le cadre sous-marin se prête naturellement à des descriptions d’ambiance détaillées, vues dans « Manuscrit trouvé dans une bouteille », « Une descente dans le Maelstrom » et « Les Aventures d’Arthur Gordon Pym ». Poe est tellement présent dans 20 000 Lieues sous les mers qu’à la fin du voyage, le professeur abasourdi Aronnax décrit ainsi son aventure: « … être entraîné dans cette région étrange où l’imagination fondatrice d’Edgar Poe rôdait à volonté. » Comme le fabuleux Gordon Pym, je m’attendais à chaque seconde à voir ‘cette figure humaine voilée, aux proportions plus larges que n’importe quel habitant sur terre, lancée sur la cataracte qui défend toute approche du pôle. »

Je n’affirmerais pas que l’imagination de Poe rôde à volonté dans le Steampunk Français, mais son influence imprègne assurément le mouvement, pour ne pas dire qu’il le hante. Son insistance sur les rêves et l’étrange, et son innovation dans le domaine des possibilités et des authenticités scientifiques, ont fait de lui un chef de file culturel posthume pour certains des créateurs les plus importants de la fin du dix-neuvième siècle. Quoique, peut-être est-ce secondaire que Poe influence ou non le Steampunk Français, mais avec la présence de Baudelaire, Mallarmé et Verne, trois hommes dont les visions furent sculptées par l’ingéniosité de Poe et qui, à leur tour, modelèrent les artistes et les écrivains du Steampunk Français, quelque part, dans la dichotomie du Steampunk Français, Poe a sa propre ramification.

Traduit par Oriane G.