Nous recevons aujourd’hui Xavier Mauméjean autour de son ouvrage « Rosée de Feu », paru aux Editions Le Bélial
FS : – Bonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
XM : Je suis auteur de science-fiction et de fantasy, principalement en littérature adulte mais aussi en jeunesse. J’écris également des pièces radiophoniques pour France Culture. Par ailleurs je dirige une collection de fantasy chez Mango et suis co-directeur avec André-François Ruaud de la collection Bibliothèque Rouge aux Moutons électriques.
– Pourquoi avoir eu envie d’écrire sur cette période de l’Histoire ? Pourquoi le Japon ?
La guerre est un thème majeur de la science-fiction et de la fantasy. Je souhaitais aborder ce genre, mais en adoptant le point de vue des perdants, ce qui ne me semble pas habituel. L’idée était de décrire une population confrontée à l’horreur, celle qu’elle subit mais aussi qu’elle génère par la faute de ses dirigeants. Le Japon, à la culture plusieurs fois millénaire, mais dévoyée dans la première moitié du XXe siècle par l’impérialisme militaire, me semblait être un choix intéressant.
– Y a-t-il une portée historique ?
Assurément, comme souvent dans mes romans, que ce soit l’Europe du XVIIIe siècle dans La Vénus anatomique, la Babylone antique pour Car je suis Légion, ou l’expérience de parc d’attractions concentrationnaire dans Lilliputia. Et même d’une façon décalée, puisque revisitée par le biais de l’optique steampunk dans le cycle de Kraven. Je m’intéresse à l’Histoire parce qu’en la faisant varier par le biais de passés alternatives, cela permet de s’interroger sur notre présent.
– Nous n’avons pas l’habitude de ce type de style narratif, pourquoi l’avoir choisi ?
Pour chaque roman j’essaye de trouver le style narratif qui lui conviendrait le mieux. Pour Rosée de feu je voulais avoir trois personnages principaux. Hideo, un petit garçon qui vit la guerre depuis son village et la propagande que diffusent les adultes, principalement par la radio. Son frère Tatsuo, étudiant à l’université qui est enrôlé dans une escadrille et devient escorteur des pilotes kamikazes. Et enfin le capitaine Obayashi, inspiré d’un personnage réel, qui met en place la stratégie suicide de la mort assurée.
Pour faire parler alternativement ces trois voix, j’ai pris pour modèle le Bunraku, théâtre traditionnel de marionnettes japonais, dont chaque poupée est animée par trois montreurs. Ainsi les trois personnages sont comme les trois âges de l’homme japonais en guerre. De plus, chaque chapitre est placé sous un élément de la pensée chinoise, Air, Terre, Eau, Bois, Métal, Feu, parce que la Chine qui a été envahie par la Japon joue forcément un rôle majeur dans le roman.
– Cet ouvrage a-t-il été un challenge à écrire ?
Oui, mais surtout pour d’autres raisons. J’ai recueilli certains témoignages auprès d’une famille japonaise concernée par les événements, aussi bien la stratégie kamikaze que l’invasion de la Chine. C’était une expérience humainement très forte pour moi.
– Pourquoi des dragons en pleine Seconde Guerre mondiale ? Qu’apporte la figure du dragon à votre livre ?
Je souhaitais intégrer un élément qui rappelle la richesse de l’imaginaire japonais. Or une bonne part du roman se passant dans les airs, le dragon s’est rapidement imposé. Mais je voulais que la créature soit biologiquement plausible. C’est pourquoi je décris son organisme, sa structure interne, comment il vole ou crache du feu. Pour ce faire, je me suis inspiré des dinosaures, mais aussi des crocodiliens, de certains oiseaux et même des papillons.
– La bibliographie est très impressionnante, les recherches autour de ce livre semblent avoir été importantes. Pourquoi une telle documentation pour un livre d’imaginaire ?
Afin de renforcer le sentiment de réel. Par exemple dans ce monde, les dragons appartiennent depuis toujours à la réalité, ils n’étonnent personne, se fondent dans le quotidien. À l’inverse, les superforteresses américaines qui bombardent les grandes villes du Japon apparaissent comme des créatures inquiétantes, provoquant la terreur.
– À l’instar des films de la Science-Fiction qui basent de plus en plus leur background sur des faits scientifiques plausible, pensez-vous qu’il soit aujourd’hui nécessaire d’assoir son récit sur un solide background lorsque l’on écrit sur une période historique ?
Je ne sais pas si c’est une nécessité en général, mais ça l’est souvent pour moi. Le futur ne me semble plus faire rêver les lecteurs, comme ce pouvait être le cas auparavant dans la science-fiction. Cela parce que le véritable avenir est inquiétant, d’où peut-être le fait que de nombreux romans et films d’imaginaire se tournent de nos jours vers le passé.
– Lorsque le lecteur parcourt cette bibliographie, une question nous vient l’esprit : Où commence votre travail de fiction ? Où s’arrête l’Histoire ?
Le but est justement de rendre les frontières diffuses entre Histoire et fiction, réel et imaginaire. Ainsi dans Rosée de feu j’ai inclus des statistiques et des observations sur les capacités des dragons, les élevages et la façon de dresser les créatures. De façon à ce que l’œil du lecteur glisse sans heurt de ce qui est vrai à ce qui ne l’est pas. Il faut que l’ensemble soit lisse.
– Ce livre mérite d’être dans une collection grand public de par son style et son audace, pensez- vous que la France ait un problème avec son bagage imaginaire ? Avec la littérature fantastique ?
Il est vrai que notre pays a hélas en grande partie oublié toute sa tradition d’imaginaire, que ce soit les pères fondateurs de la science-fiction comme Jules Verne, Rosny aîné ou Maurice Renard. De même pour le fantastique avec des figures pourtant prestigieuses comme Maupassant et Barbey d’Aurevilly. Sans parler tout simplement de la littérature populaire avec Alexandre Dumas. Nos universités sont encore très frileuses, contrairement à leurs équivalentes anglo-saxonnes. Mais j’ose croire que les choses sont en train de changer.
– Au vue des événements récents, pensez-vous que votre livre prenne une autre dimension ?
Oui, en tout cas pour moi, du fait précisément des gens qui m’ont aidé, de leur famille au Japon. Je pense très fort à eux.
Interview menée par Arthur MORGAN, pour French Steampunk