Hypersyntrophonique, horlogisphérique, logoventysfère, pneumocycle, cykophore… l’imaginarium sémantique d’Esther Brassac est une véritable bonbonnière à sucreries musicales et absolument délectables. Un livre à lire à voix haute.
Les inventions de langage roulent sur la langue, ça pétille à souhait, les réparties fusent entre les personnages qui ont chacun leur répertoire de mots choisis et une musicalité propre. Un véritable bestiaire de créatures bien campées, qui entrent en scène comme des chanteurs d’opéra pour jouer leur partition.
C’est la voix de la raison pour Oksibure, le spectre enquêteur aux habits électromagnétiques, affublé d’une compagne totalement allumée, Piouf-Lune la petite flammèche qui crépite des « Trousse-nif » à son chapeau, sorte de Giminy cricket d’outre-tombe.
C’est aussi un mélange improbable de poésie et de trivialité démoniaque pour Cropityore, l’incube qui cite du Baudelaire entre deux assauts dictés par ses bas instincts.
C’est encore les inversions impertinentes et yodesque de Filbert le grisard, elfe décédé et enquêteur adjoint, qui ponctue chaque sentence d’un « ô » rimbaldesque dont l’inventivité qualificative ne semble pas avoir de fin. Un régal d’auteur.
D’autres personnages plus conventionnels viennent calmer le jeu, Katherine la vampire en proie à son destin, Aldebrand le dandy en deuil de sa jumelle évanouie, Mortefur le loup-garou peureux aux antipodes du cliché du genre.
L’imagination débridée d’Esther Brassac ne se limite pas à la création de héros hauts en verbes. L’intrigue riche en rebondissements, et fourmillant de détails, allie tour à tour uchronie saupoudrée d’un steampunk à la française, magie féerique et certains codes de la bit-lit. On se promène dans une cité tolossayne aux allures post-apocalyptiques, coincée sous un dôme étouffant et ne subsistant que grâce aux Sans-Noms, tantôt sur les traces d’un tueur en série, tantôt dans l’intimité créatrice des trois héros réunis dans une maison gothique à souhait. Les deux histoires se rejoignent peu à peu jusqu’au dénouement surprenant.
Seul bémol dans la partition qui peut nuire au confort du lecteur mélomane, quelques longueurs en milieu de récit qui font partir les héros sur des chemins de traverse : impatients s’abstenir, les Sans-Noms ne se livrent pas sans un effort d’endurance et une entière immersion dans un univers très personnel et original.
Par la grâce des Sans-Noms, ed. du chat noir, 2015
ISBN : 109062786
Mars 1890.
Voilà près de vingt ans que la guerre franco-prussienne est terminée. Le canon hypersyntrophonique utilisé par Napoléon III a assuré une victoire retentissante au goût pourtant amer. Les retombées de l’arme monstrueuse ont causé des millions de morts à la surface de la Terre, détruisant également la faune par une lèpre incurable tandis que la végétation mourait peu à peu. Grâce à l’intelligence des scientifiques autant qu’au pouvoir des enchanteurs, un dôme de trois mille six cents kilomètres carrés a été construit, permettant de sauvegarder une zone du sud-ouest de la France, le Royaume garonnais.
Alors que tout espoir de voir la vie renaître au-delà de la frontière artificielle est perdu, des crimes en série abjects sont perpétrés dans la cité tolossayne. Le préfet charge un fin limier, Oksibure, spectre coincé entre le monde des vivants et celui des morts, de résoudre cette terrible affaire.
Au même moment, Aldebrand loue une maison dans le centre de la cité pour y résider quelques mois avec ses amis : Cropityore, un incube de dix-huit mille ans et Katherine de Clair-Morange, humaine récemment transformée en vampire en raison d’une vieille malédiction. Tous trois désirent créer un album gothique pour le compte d’une prestigieuse maison d’édition. Bien qu’il soit à la recherche de sa jumelle disparue dans d’étranges circonstances, Aldebrand va devoir aider Katherine à assumer les pénibles répercussions de sa métamorphose. Tout au moins, croit-il que ce sont là des problèmes bien suffisants à assumer. Il est loin d’imaginer que la demeure louée va bientôt concrétiser des cauchemars plus terribles encore.
A propos de l’auteur :
Esther Brassac, rêveuse invétérée, passe le plus clair de son temps dans des mondes imaginaires bien loin de notre réalité bassement prosaïque. Rien d’étonnant si l’on considère qu’elle est née en 1969, année où Armstrong a posé le pied sur la Lune. Lorsqu’elle n’écrit pas, Esther pratique une bibliophagie aiguë qu’elle soigne en achetant des livres sur les sujets les plus variés. Elle a achevé en 2014 « La nuit des Cœurs froids« , un roman à l’atmosphère steampunk et compte persévérer ainsi encore longtemps.