
« Il existe des secrets que même les pharaons ont préféré enterrer. »
1869, Égypte. Alors que l’Europe s’apprête à s’embraser, un archéologue français exhume un tombeau maudit. À l’intérieur, sept sarcophages scellés depuis des millénaires renferment des corps difformes, baignant dans un liquide noir aux propriétés terrifiantes. Avec La Légende des Stryges, Les eaux du Chaos, Éric Corbeyran, Nicolas Bègue et Lucie Fabbro ressuscitent la série de BD Les Stryges en lui insufflant une dimension inédite : et si les dieux égyptiens n’étaient que des marionnettes ? Et si le vrai pouvoir résidait dans ce fluide ancestral, capable de corrompre jusqu’à l’âme des nations ? Premier volet d’un diptyque ambitieux, ce tome 1 ne se contente pas de relancer une saga culte – il réécrit les règles du thriller ésotérique.

1869 : l’année où l’Humanité a frôlé l’apocalypse
Imaginez un monde où la guerre franco-prussienne n’est qu’un écran de fumée. Où les grandes puissances se disputent non pas des territoires, mais un liquide capable de ressusciter des dieux oubliés – ou de créer des monstres. C’est le postulat audacieux de Les eaux du Chaos. Alexandre Sardin, archéologue idéaliste, vient de mettre au jour une découverte qui pourrait renverser l’ordre du monde. Mais dans l’ombre, l’occultiste prussien Sandor G. Weltman manœuvre pour s’emparer de ce pouvoir, quitte à déclencher une catastrophe bien pire qu’une simple guerre.
Ce qui frappe dès les premières pages, c’est l’ampleur du complot. Corbeyran ne se contente pas d’une intrigue locale : il lie le destin de ses personnages à des enjeux géopolitiques mondiaux, tout en y injectant une dose d’horreur surnaturelle. Le liquide noir, substance mystérieuse aux propriétés régénérantes et corruptrices, devient le symbole d’une quête bien plus ancienne et plus importante que les conflits humains. Une quête qui remonte à l’aube des civilisations, et dont les Stryges ne sont que les gardiens… ou les prisonniers.
La Légende des Stryges. Un duel à haute tension : la raison contre la folie
Le cœur de l’album bat au rythme du duel entre Sardin et Weltman. D’un côté, un scientifique rationnel, convaincu que la connaissance doit servir l’humanité. De l’autre, un fanatique prêt à sacrifier des vies par milliers pour percer les mystères du fluide. Leur affrontement dépasse le simple débat idéologique : il incarne la lutte éternelle entre la lumière de la raison et les ténèbres de l’obscurantisme.
Autour d’eux, des personnages secondaires – un soldat prussien hanté par ses visions, une égyptienne gardienne de secrets ancestrales – ajoutent des couches de complexité à un récit déjà dense.
Quand l’art devient une arme
Nicolas Bègue et Lucie Fabbro signent ici des planches d’une beauté inquiétante. Les décors égyptiens, rendus avec un réalisme méticuleux, contrastent avec les créatures cauchemardesques qui peuplent les pages. Le liquide noir, omniprésent, est représenté comme une entité vivante, presque organique, qui semble ramper sur les cases et corrompre jusqu’au papier.
Les jeux de lumière sont particulièrement remarquables. Les scènes diurnes, baignées d’une chaleur étouffante, laissent place à des nuits oppressantes où les ombres prennent vie. Quant aux visages, ils sont souvent déformés par la peur ou la folie, comme si le simple fait de contempler le fluide suffisait à altérer l’esprit
Le cahier graphique inclus révèle l’étendue des recherches des dessinateurs, entre croquis archéologiques et esquisses de créatures. Un travail titanesque, qui donne une dimension presque documentaire à cette fiction.
La Légende des Stryges, une BD résolument contemporaine.
À l’ère des fake news et des manipulations de masse, Les eaux du Chaos pose une question glaçante : et si les véritables maîtres du monde n’étaient pas ceux que nous croyons ? En mêlant mythologie, histoire et horreur, la BD explore des thèmes universels :
- Le pouvoir corrupteur : jusqu’où irions-nous pour détenir un avantage absolu ?
- La réécriture de l’Histoire : et si les grands récits étaient des mensonges ?
- La peur de l’inconnu : sommes-nous prêts à affronter ce qui se cache dans les tombes ?
Le retour des Stryges, après sept ans d’absence, tombe à point nommé. Dans un paysage culturel saturé de super-héros et de récits manichéens, cette plongée dans l’horreur historique offre une bouffée d’air (vicié) bienvenue. Le mélange de rigueur documentaire et de fantastique pur en fait une œuvre à part, capable de séduire aussi bien les amateurs de thrillers que les passionnés d’ésotérisme.
Verdict : un chef-d’œuvre du thriller ésotérique
« Les eaux du Chaos » n’est pas qu’une simple relance de série. C’est une réinvention totale, qui propulse l’univers des Stryges dans une nouvelle dimension. Entre complots historiques, horreur lovecraftienne et réflexion sur la nature du pouvoir, ce tome 1 est une réussite sur toute la ligne. Une seule question subsiste : jusqu’où les auteurs iront-ils dans le tome 2 ?
Dernier mot (et avertissement) :
« Certains tombereaux ne devraient jamais être ouverts. Celui-ci l’a été. Et ce qui en sortira pourrait bien changer votre vision du monde. »
Titre | La Légende des Stryges – Tome 01 : Les eaux du Chaos |
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Scénariste | Éric Corbeyran |
Pagination | 46 planches + cahier graphique (8 pages) |
Genre | Thriller historique, horreur lovecraftienne, aventure |
Éditeur | Delcourt |
Dessinateurs | Nicolas Bègue, Lucie Fabbro |
Date de sortie | Août 2025 |