Le protectorat de l’ombrelle, le cycle – Gail Carriger

Chronique de Calliopée, parue initialement sur son blog Les Etoiles Mécaniques

« Mademoiselle Alexia Tarabotti n’appréciait pas sa soirée. Un bal privé n’est jamais que moyennement distrayant pour une vieille fille et mademoiselle Tarabotti n’était pas du genre à en tirer beaucoup de plaisir. Pour mettre les points sur les i: elle avait battu en retraite dans la bibliothèque, son sanctuaire favori dans n’importe quelle demeure, mais pour tomber sur un vampire surprise. »

Parue en 2009, la saga en cinq opus des aventures vaporistes d’Alexia Tarabotti peut déjà se targuer d’être un classique pour les amateurs du genre. Mêler l’uchronie steampunk au mordant de la bit-lit, en pleine époque de Twillight, fut assurément un coup de génie de la part de Lady Carriger, dont le style so british joue autant avec les codes de la bonne société chers à Jane Austen qu’avec l’insolence d’un P.G. Wodehouse lâchant la bride à Jeeves.

« Mademoiselle Tarabotti n’était pas une de ces demoiselles qu’on trouvait partout – en réalité, elle était tout le contraire. Plus d’un gentleman avait déclaré que la rencontrer pour la première fois, c’était avaler une gorgée de cognac très fort alors qu’on s’attendait à du jus de fruit. »

Sortir les crocs, très bien, hurler à la lune, parfait, trucider des vampires, les asperger d’acide, courser des automates ou des momies vivantes, sans problème, mais de grâce repassez après l’heure du thé!

Plus vraiment adolescente, pas encore femme mariée, donc respectable,  Alexia se pose d’emblée comme la young adult mal à l’aise dans sa vie, cherchant sa place: sans âge, sans forme et sans honte, elle séduit immédiatement les lectrices qui ne peuvent que se retrouver dans cette vieille fille (mais célibattante), cousine lointaine et corsetée de Bridget Jones. Dans la bonne société victorienne, Alexia fait tache, le teint trop basané pour être courtisée, le nez trop long, le sens pratique plus développé que celui de la mode, la jeune femme fait le désespoir de sa mère qui lui promet un avenir de brodeuse au coin du feu. Mais le destin n’abandonne jamais ses héroïnes, surtout si elles se mettent à côtoyer loups garous et vampires. Alexia va donc rencontrer le loup (garou), en la personne velue de Lord Maccon, qui s’avère être un agent spécial au service de sa Majesté la Reine Victoria, chef du BUR, le bureau de régulation des être surnaturels.

« -Pourquoi faites-vous ça tout le temps ?
-Quoi donc, mademoiselle Tarabotti ?
-M’exclure comme si j’étais une enfant. Est-ce que vous réalisez que je pourrais vous être utile ?
-Vous voulez dire que vous pourriez causer des problèmes légalement au lieu de nous empoisonner tout le temps ? »

A ses côtés, elle va régler leur compte aux vampires et autres êtres fantastiques, dont loups garous isolés et psychopathes, fantômes délités et amnésiques, momies égyptiennes exhumées, en passant par une armée de coccinelles automates, des porc-épics zombies, et un octomate géant. Alexia trouve enfin sa voie et déploie toutes les qualités d’une super héroïne, sans jamais se départir de son flegme ni de son ombrelle bourrée de gadgets à la James Bond.

Née sans âme, autant dire sans imagination et sans grâce, dans un monde où le moindre supplément d’âme peut vous transformer en vampire ou en loup garou, Alexia exploite donc son don inattendu, celui de rendre mortelle toute créature surnaturelle à son contact, au profit de Lord Maccon, qui tombera inévitablement sous le charme et hissera Alexia au rand de Lady Maccon, femelle alpha et cheffe de la meute par alliance. L’heure de la métamorphose a donc bien sonné pour Alexia. Mais si la saga s’inscrit dans le genre initiatique, ne nous y trompons pas: la nouvelle mujah, agent secrète adoubée par la Reine Victoria elle-même, est une vraie héroïne moderne, qui reste maîtresse de ses choix et règne sur son petit monde.

« Alexia sentit que c’était le moment d’opposer une protestation de principe « Vraiment, je crois que je suis sur le point de développer une névrose. Y a-t-il quelqu’un ici qui ne veut pas m’étudier ou me tuer ?
Flotte leva une main hésitante.
« Ah, oui, merci Floote.
– Il a aussi Mme Tunstell, madame, suggéra-t-il avec espoir, comme si Ivy était une sorte de prix de consolation.
– Je remarque que vous ne mentionner pas mon mari des beaux jours.
– Je soupçonne, madame, qu’en ce moment il a probablement envie de vous tuer.
– Bien vu. »

Outre le fait d’offrir un modèle intelligent et assumé aux jeunes lectrices, la série n’est pas exempte de sensualité décomplexée. A l’époque où Bella tergiverse entre la virilité animale du loup garou et la pâleur hygiénique du vampire, distillant les peurs d’une Amérique bien pensante en la matière, Alexia elle, choisit clairement de hurler avec les loups et notamment avec Lord Maccon. Il faut dire que l’animal est loin du stéréotype du lycanthrope enfermé dans sa malédiction tel que nous le servent séries et autres romans de genre, ennemi ancestral du vampire (mais qui a décidé cela??). Prenant la bit-lit à contre-pied, Gail Carriger nous dévoile tout le sex-appeal des hurleurs à la lune, qui pour une fois ne sont pas les faire-valoir des suceurs de sang. Un peu comme si les nains surpassaient les elfes chez Tolkien…

Et les vampires dans tout ça?

Menés par l’exquis Lord Akeldama, quintessence du dandy qui assortit ses guêtres à l’humeur du jour et règne en maître sur le Londres nocturne, leur petit groupe, appelé la ruche, se compose exclusivement de dandys. Si les femmes loups garous sont rares, (exceptée la nièce de Lord Akeldama elles ne survivent pas à la métamorphose de leur corps), les femmes vampires, elles sont plus présentes, resserrées autour de leur reine, la comtesse Nadasdy, comme des abeilles. Les deux ruches entretiennent des liens diplomatiques cordiaux mais ne se mêlent pas, hommes avec hommes, femmes avec femmes. Là encore au delà des apparences fantastiques, l’auteur nous parle des choix sexuels, des renoncements et des contraintes à être différent, en marge du modèle classique hétérosexuel. La thématique de la métamorphose, de l’identité, du choix de l’orientation sexuelle inhérente au genre vampirique et si chère à Anna Rice, est dans cette saga très intelligemment abordé, avec grâce et tact.

On a beau chercher, dans le protectorat de l’ombrelle, les vampires n’ont pas le beau rôle. Certes, Lord Akeldama est prêt à tout pour Alexia, sa fleur de pétunia adorée, mais il n’en reste pas moins un personnage trouble, manipulateur, aussi cruel que déterminé lorsqu’on attente à ses intérêts. Ses garçons sont de redoutables espions, aux allures distinguées, tandis que les fidèles de la comtesse Nadasdy se posent en véritables tueuses sans scrupules.

« Un vampire affamé avait deux solutions socialement acceptables à son problème : prendre quelques gorgées de sang à divers drones consentants appartenant à lui-même ou à sa ruche, ou payer des prostituées dans les docks. On était au XIXe siècle, après tout, et l’on attaquait tout simplement pas les gens sans être annoncé ou invité. »

Loin des sentiers battus et rebattus, la saga séduit autant par la richesse de son univers, où l’on croise également une inventeuse typique de l’imagerie steampunk, avec automates géants et machines à vapeur crachant et sifflant, un majordome garde du corps et des secrets du passé d’Alexia, une troupe de comédiens farfelus, menés par la pétillante et très chapeautée mademoiselle Hisselpenny, meilleure amie d’Alexia, des alphas, des bétas, des gammas…  des paranaturels, des surnaturels et même des Templiers. On y prend des dirigeables, on communique par transmetteur éthérographique, on y boit des litres de thé servies avec des kilos de tartes à la mélasse et bien sûr… on s’abrite sous une ombrelle.

Bio-mécanique

gailGail Carriger est le nom de plume de Tofa Borregaard,  archéologue et auteur de fantasy urbaine steampunk. Elle a obtenu son diplôme de premier cycle à l’Oberlin College , une maîtrise en sciences des matériaux archéologiques à l’Université de Nottingham en Angleterre en 2000, et une maîtrise ès arts en anthropologie à l’Université de Californie à Santa Cruz en 2008.

Son premier roman, Soulless (sans âme), a été publié en 2009 par Orbit Books et lui vaut une nomination pour le Prix John W. Campbell pour le meilleur nouvel écrivain.

http://www.gailcarriger.com/


Résumé des 5 tomes :


Sans-ame

Tome 1 : Sans âme

Résumé :

Primo, elle n’a pas d’âme. Deuxio, elle est toujours célibataire. Tertio, elle vient de se faire grossièrement attaquer par un vampire qui ne lui avait pas été présenté ! Que faire ? Rien de bien, apparemment, car Alexia tue accidentellement le vampire. Lord Maccon – beau et compliqué, écossais et loup-garou – est envoyé par la reine Victoria pour enquêter sur l’affaire.

Des vampires indésirables s’en mêlent, d’autres disparaissent, et tout le monde pense qu’Alexia est responsable. Mais que se trame -t-il réellement dans la bonne société londonienne ?


Sans Forme - gail carriger

Tome 2 : Sans Forme

Résumé:

Miss Alexia Tarabotti est devenue Lady Alexia Woolsey. Un jour qu’elle se réveille de sa sieste, s’attendant à trouver son époux gentiment endormi à ses côtés comme tout loup-garou qui se respecte, elle le découvre hurlant à s’en faire exploser les poumons. Puis il disparaît sans explication… laissant Alexia seule, aux prises avec un régiment de soldats non-humains, une pléthore de fantômes exorcisés, et une reine Victoria qui n’est point amusée du tout. Mais Alexia est toujours armée de sa fidèle ombrelle et des dernières tendances de la mode, sans oublier un arsenal de civilités cinglantes. Et même quand ses investigations pour retrouver son incontrôlable mari la conduisent en Écosse, le repère des gilets les plus laids du monde, elle est prête !


gail carriger - Sans Honte

Tome 3 :Sans Honte

Résumé:

Une histoire de vampires, de loups-garous et d’imprévus. Alexia est indiscutablement LE scandale de la saison londonienne : après les événements inattendus survenus en Écosse, elle est retournée vivre chez ses parents. La reine Victoria n’a d’autre choix que de l’exclure du Cabinet fantôme, et la seule personne qui pourrait expliquer quelque chose, Lord Akeldama, a inopinément quitté la ville. Pour couronner le tout, Alexia se fait attaquer par une coccinelle mécanique létale, et découvre que les vampires de Londres ont juré sa mort. Tandis que Lord Maccon met toute son énergie à boire, et que le Professeur Lyall tente désespérément de maintenir la cohésion au sein de la meute Woolsey, Alexia s’enfuit en Italie à la recherche des mystérieux Templiers. Ils sont les seuls à pouvoir expliquer sa délicate condition actuelle. Mais ils pourraient aussi s’avérer pires que les vampires. Surtout armés de pesto.


Sans Coeur - gail carriger

tome 4 : Sans coeur

Résumé:

Lady Alexia Maccon a de nouveau des problèmes.Sauf que cette fois, elle n’y est vraiment pour rien. Un fantôme fou menace la reine. Alexia mène l’enquête jusque dans le passé de son époux. Pendant ce temps, sa soeur rejoint le mouvement des suffragettes, Madame Lefoux met au point sa dernière invention mécanique et des porcs-épics zombies envahissent Londres, le tout une nuit de pleine lune. Alexia découvrira-t-elle qui tente d’assassiner la reine Victoria avant qu’il ne soit trop tard? Loups-garous et vampires verront-ils le soleil se lever? Et qui ou quoi, exactement, a élu résidence dans le deuxième dressing préféré de Lord Akeldama?


Sans Âge - Gail Carriger

Tome 5 : Sans âge

Résumé:

Une histoire de vampires, de loups-garous et de momies. Lady Maccon, Alexia Tarabotti, est en pleine béatitude domestique. Une béatitude à peine troublée par la fréquentation de quelques loups-garous de la haute société et celle du second placard préféré d’un vampire, sans oublier un bambin précoce ayant des dispositions incontrôlables au surnaturel… Mais Alexia vient de recevoir un ordre qu’elle ne peut ignorer. Avec mari, enfant et Tunstells, elle embarque à bord d’un bateau à vapeur pour traverser la Méditerranée. Direction, l’Egypte, un pays qui pourrait bien tenir en échec l’indomptable Alexia. Pourquoi une des plaies d’Egypte s’abat-elle de nouveau sur le pays ? Que lui veut la Reine vampire de la ruche d’Alexandrie ? Et comment diable Ivy est-telle devenue du jour au lendemain l’actrice la plus populaire de tout l’Empire britannique ?


Avis :