Explorations dans les racines du steampunk français. Exposition 2 : le Surréalisme et les Dada

Correspondances : une série d’explorations au sein des racines du steampunk Français.

Exposition II: Le surréalisme et les Dada

Ce que le progrès peut donner, il peut également le reprendre, comme lors de la première guerre mondiale, quand l’innovation ne servait qu’à améliorer l’efficacité des tueries. Les armes à feu automatiques et de longue portée, les mines, et les armes chimiques tout juste introduites, ont assassiné des millions de jeunes européens, neuf millions jusqu’en 1918, pour être exact. La vie était devenue jetable et la propagande nationaliste a ignoré nonchalamment tous les corps qui se trouvaient sous les drapeaux. Ils trouvèrent refuge dans le Symbolisme – telles les figures de Tristan  Tzara, Francis Picabia, Marcel Duchamp, André Breton, Max Ernst et René Magritte. Plutôt que de rechercher la vraie nature de l’être humain, ils voulurent savoir s’il en restait quoi que ce soit.

marcel duchamp
LHOOQ, Marcel Duchamp, 1919

Toute tradition fût jetée aux poubelles aux mains du Dadaïsme. Jusqu’en 1916, la philosophie, l’art et la littérature occidentales furent mises en lambeaux et remplacées par du simple papier, du bois, des collages, des photomontages, des poèmes simultanés et, par Marcel Duchamp et ses poubelles canonisées en tant que « Ready Made».
LHOOQ est non seulement un exemple de ce « Ready Made » – un objet trouvé auquel on donne un second sens au travers de la modification que lui apporte l’artiste, mais il est également représentatif d’une autre et unique caractéristique Dada : l’ironie. En défigurant le visage de l’intouchable Mona Lisa et en la renommant LHOOQ (dont la prononciation signifie « Elle a chaud au cul »), Duchamp questionna la manière dont l’art et la société validaient les concepts.

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Avatar pour trombinoscope, Futuravapeur, 2007

Une partie de cette ironie se retrouve dans le steampunk en France. Mais sa présence sert d’avantage à comparer le présent et le futur, bien loin de l’irrévérence du Dadaïsme. Par exemple, l’humour que Futuravapeur utilise dans son travail n’est que de l’auto-dérision, du second degré. Sur cette avatar, il a juxtaposé son visage sur une gravure classique, pour se relier, lui et son travail du 21e siècle, à la même tradition contre laquelle les Dadaïstes se révoltaient. Dans la série des Maurice Sandalette, il ironise sur la science-fiction, le gothique et les romans policiers, mais il le fait avec amour et appréciation alors que les Dadaïstes l’auraient fait avec mépris.

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Machine, Tournez Vite, Francis Picabia, 1916

Tandis que les Dadaïstes détruisaient l’art pour le réinventer avec de nouveaux matériaux, beaucoup d’autres, comme Francis Picabia, se détournèrent de la représentation de l’être humain pour créer de nouvelles icônes de la modernité en utilisant une société mécanique grandissante. Des artistes comme Francis Picabia firent des portraits mécaniques de machines, d’engrenages et de commodités modernes tel l’appareil photo portatif.

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L’oiseau dans un aquarium, Hans Arp, 1920

D’autres artistes s’écartèrent entièrement de la représentation. Pour ses compositions, Hans Arp se fiait à la chance. Après avoir découpé du papier, il le laissait atterrir au hasard sur la toile. Finalement, sa méthode devint une représentation biomorphique, laquelle finit par incarner le mouvement de l’art pour l’art, d’un art qui raconte sa propre histoire.

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Bass 1, Chris Anderson, 2011 (?)

Avec Chris Anderson, les concepts du Dadaïsme – le ready made, le sujet mécanique et les compositions aléatoires – s’allient à une esthétique steampunk pour créer des compositions industrielles de rouages, d’engrenages, de chaînes, ou encore de tentacules nageant dans la mer en cuir d’une vieille malle de voyage. Il manipule ces objets ordinaires pour les mettre en sculpture et sur la toile, et joue sur l’esthétique anti-art des Dadas. L’œuvre est ainsi appréciée pour sa propre valeur, ou bien métamorphosée par l’oeil en un paysage marin plus traditionnel.

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Holzkauf, Raoul Haussman, 1920

Après la seconde guerre mondiale, il semblait que l’être humain fusionnait avec la machine. Les soldats survivants retournaient chez eux avec des plaques et des nez en métal, ou des prothèses de bras et de membres. Des ravages que les Dadaïstes ont illustrés dans leurs œuvres, en fondant le visage ou la silhouette humaine avec un équipement mécanique. Comme ici, Holzkauf (Tête Mécanique) de Raoul Hausmann.

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Casque d’Ingénieur Impérial I, Futuravapeur, 2007

Le Casque d’Ingénieur Impérial I de Futuravapeur ressemble étonnamment au Holzkauf d’Hausmann, mais les éléments mécaniques du casque de Futuravapeur semblent mieux intégrés. Même si le casque n’a pas pour but de devenir une partie du corps humain, il sert néanmoins à l’améliorer, par le biais d’appareils pour la vue et la perception. Bien que son esthétique ait une résonance du dix-neuvième siècle et soit un écho aux préoccupations méca-humanistes des Dada, ce casque met le doigt sur une préoccupation très contemporaine concernant les avancées des divertissements médicaux du trans-humanisme, quand la nanotechnologie rapproche encore plus l’homme de la cybernétique.

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L’Homme au chapeau melon, René Magritte, 1964

Les Dada ont dominé le monde pendant dix ans jusqu’à être renversés par les Surréalistes en 1924. Sous le règne d’André Breton, les Surréalistes renoncèrent à attaquer la morale de la société, et, comme les Symbolistes, crurent que la civilisation pouvait être sauvée par des explorations plus internes qui incluaient le nouveau mysticisme du vingtième siècle: la psychanalyse et l’interprétation des rêves.

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Maurice S’expose chez Kodak, Futurvapeur, 2010

Le Surréalisme était avant tout une philosophie, un style de vie qui manifestait et transmettait ses idées au travers de la peinture, de la photographie et de l’écriture. La méca-imagerie des Dada disparut et fût remplacée par une peinture et une photographie figurative qui étaient hautement symboliques et métaphoriques. Des bribes du dadaïsme perdurent sous la forme des jeux de chance, du biomorphisme (et une once d’anthropomorphisme) et de juxtapositions ou d’associations surprenantes.
L’héritage des Surréalistes au sein du Steampunk Français se voit dans son sens de l’exploration visuelle. Certes, au cœur du Steampunk se trouve l’esthétique du dix neuvième siècle, mais une révolte et un questionnement modernistes sont là, qu’ils soient ironiques ou sérieux.

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La Poupée, Hans Bellmer, 1935

En photographie, le corps fût poussé dans ses dernières limites, au stade d’objet poétique. Dans sa série de poupées, Hans Bellmer utilisa des poupées pour construire des portraits extrêmement réalistes de femmes pubères.

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Le Violon d’Ingres, Man Ray, 1924

Tandis que Bellmer utilisait des objets pour connoter le corps féminin, Man Ray, lui, transforma le corps féminin en objet. Il utilisa la libre association pour transformer le dos de son modèle en un magnifique corps de violoncelle.

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La Poupée à la violette, AnXiogène, 2006

Dans ses photographies, Anxiogène combine la préoccupation surréaliste à la beauté féminine comme les poupées de Bellmer, les femmes ne sont pas ce qu’elles semblent être. Dans sa série « Broken Dolls », elle mélange les différentes objectivations de Bellmer et de Man Ray, et crée une image unifiée qui questionne la nostalgie victorienne et le regard omniprésent de l’homme.

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Reine de Coeur, AnXiogène, 2008

Ses images sont magnifiques mais aussi dérangeantes, et je les perçois d’avantage dans la tradition des femmes surréalistes, non pas parce qu’ Anxiogène est une femme, mais parce qu’elle n’a pas peur de détruire le corps féminin alors qu’il est toujours vénéré et attendu comme objet de désir.

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Les 2 Fridas, Frida Khalo, 1939

Les femmes surréalistes ne furent pas capables de rester longtemps loin des conceptions sexistes, mais leur art leur permit de les explorer, de les contrarier, et de se réinventer en déstructurant leurs expériences de femmes.

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3 jeunes femmes surréalistes tenant dans leur bras la peau d’un orchestre,
Salvador Dalí, 1936

Sujets mis à part, une autre caractéristique marquante du Surréalisme fût son retour à une peinture narrative qui mettait en scène des figurations dans une construction onirique du subconscient. Dans ces tableaux, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, et chaque personne, chaque objet, est le symbole d’une histoire globale.

Shéhérazade
Schéhérazade, Sam Van Olffen, 2011

Cela nous ramène à notre point de départ, Sam Van Olffen, dont les attributs Symbolistes incarnent également ceux des Surréalistes. Les mythes traditionnels sont revisités dans un cadre rétro-futuriste aux implications passées.

Le Steampunk Français est un mouvement artistique à part entière. En retraçant ses origines, il apparaît évident que ses fondations sont fortes et qu’il ne peut que continuer à se développer.
C’est un futur qui garantit au Steampunk de ne plus être un courant, mais un réel mouvement. C’est un futur auquel j’ai hâte d’assister dans les années à venir.

Selena Chambers, pour French Steampunk