Résumé :
Imaginez les jumeaux maléfiques de Sherlock Holmes et du docteur Watson, et vous obtiendrez le redoutable duo formé par le professeur James Moriarty, serpent rusé d’une intelligence remarquable, aussi cruel qu’imprévisible, et le colonel Moran, violent et libertin. Ensemble, ils règnent sur Londres en maîtres du crime, défiant police et hors-la-loi. Quelle que soit leur mission, du meurtre au cambriolage de haut vol, Moriarty et Moran accueillent un flot de visiteurs malfaisants, dont une certaine Irène Adler…
Infos pratiques :
Editions Bragelonne; ISBN : 9782352949022 ;
parution papier: 18 novembre 2015; parution numérique : 27 novembre 2015
Notre avis :
Un monde en miroir de celui de Arthur Conan Doyle plutôt original…
Au début du livre, une préface imaginaire est présente pour situer le livre comme un manuscrit attribué à Moran, retrouvé dans un coffre de la banque Box Brothers, la banque des criminels de Londres. On relèvera l’hommage au Canon (=nom donné aux livres principaux de Sherlock Holmes) où les notes du Docteur Watson sont retrouvées et mettent au jour les aventures de son compagnon.
Ici, c’est le colonel Moran le personnage principal. Celui-ci raconte son ascension dans l’empire du crime construit par Moriarty, en devenant son bras droit. Le personnage est dès le départ antipathique, ce qui nuit parfois à la narration. A la fois roublard, voleur, violeur, joueur invétéré, alcoolique et surtout assoiffé d’adrénaline, il peut tout lâcher pour partir à la chasse à l’homme ou à l’animal. Son sens de l’humour un peu graveleux et son manque de génie en font une copie négative du brave Docteur Watson, tout aussi benêt à côté de Sherlock Holmes.
Le quartier général de Moriarty est situé au-dessus d’un bordel, ce qui ne manque pas de piquant lorsque Moriarty reçoit des clients. Cela s’oppose surtout à la pension sérieuse dans laquelle habite Sherlock et Watson, à Baker Street.
L’empire est construit sur un réseau bien ordonné de petites frappes, de prostituées, mais aussi d’assassins, d’avocats, de policiers corrompus et de raquetteurs notoires. Moriarty tient ses comptes en langage crypté très scrupuleusement et n’hésite pas à dépenser des sommes astronomiques pour satisfaire son besoin de reconnaissance comme étant le pire criminel existant.
Enfin, le roman est plutôt une succession de nouvelles, comme les aventures de Sherlock Holmes. Plusieurs histoires du Canon sont reprises dans le titre comme Le chien des d’Urberville ou nous donnent l’envers du décor d’une histoire de Sherlock comme Le Problème de l’aventure finale, autre facette de Le Problème final.
Un hommage à Moriarty
Moriarty, vu par Moran, est calculateur, froid, imbu de lui-même mais il a aussi ses petites manies qui le rendent tantôt loufoque, tantôt bizarre. Par exemple, Moran ne cesse de parler du TOC du professeur : Moriarty dodeline de la tête quand il réfléchit, ce qui par moments est très drôle.
On apprend surtout multitudes de détails concernant l’empire du diabolique professeur et des détails personnels, complètement originaux.
Pour commencer, Moriarty a une famille qu’il déteste : deux frères nommés James Moriarty, comme lui, dont un qui travaille au gouvernement britannique (à l’instar de Mycroft, le frère de Sherlock). Les rencontres ont lieu dans la nouvelle L’invertébré grec sur fond d’espionnage. Si Mycroft connaît tout des activités de son frère, les Moriarty ignorent les réelles activités du leur et se moquent surtout de sa chaire de professeur et de son manque d’ambition. Mais Moriarty est malgré tout fidèle à sa famille. Le passage expliquant l’origine du même prénom des trois frères nous donne des indications sur son enfance et son besoin de reconnaissance paternelle.
En dehors de son empire du crime, Moriarty a une passion : les guêpes ! Il les élève dans une pièce près de son bureau et en prend plus soin que d’un être humain, tout comme Sherlock avec ses abeilles. Il ira même jusqu’à assigner une des prostituées de son bordel pour les soigner pendant son absence à Reichenbach en lui promettant d’éviter la prison s’il venait à disparaître. Il utilise également ses guêpes pour mener des expériences immondes sur des enfants.
Moriarty est très imbu de lui-même, on le savait déjà. Mais dans La Ligue de la Planète Rouge, on découvre à quel point il peut aller pour se venger de qui oserait douter de son intelligence. Moqué par un jeune confrère en astronomie, possédant lui aussi un ego démesuré, il réalise un piège énorme pour ridiculiser ledit confrère aux yeux de toute la société londonienne. La nouvelle ne manque pas de piquant, surtout quand l’histoire est racontée par le journal du collègue en question et ne laisse pas présager au départ toute la machination en oeuvre pour le détruire.
Un récit truffé de références
Sherlock Holmes, ce grand absent de l’histoire n’est mentionné que dans la dernière nouvelle : Le Problème de l’aventure Finale. Sherlock y est vu comme un imbécile par Moriarty, qui le surnomme « le grand échalas » et lui semble un piètre danger. Malgré tout, Moriarty décide de le tuer en lui tendant un piège en Suisse, aux fameuses chutes. Il embarque avec lui Moran, qui, en proie à des doutes quant à l’avenir de sa collaboration avec le grand génie du crime, est chargé de tirer sur Sherlock avant sa chute. Jusqu’à la fin, on ne saura pas sur qui il a tiré. Mais d’après les récits de Doyle, vous vous en doutez peut-être un peu…
Quelques références à Tintin de Hergé avec Les bijoux de la Castafiore notamment dans L’aventure des six malédictions dérident un peu l’univers. Ici il est question d’une malédiction autour d’un joyau qui donne lieu à une chasse au trésor d’objets maudits partout dans le monde. Cela nous donne l’occasion de rencontrer les autres grandes figures du mal existant dans les autres pays, et leurs organisations.
Dracula est brièvement mentionné à cette occasion, comme “le Grand Vampire de Paris” mais aussi James Bond, Arsène Lupin, Irène Adler dans d’autre nouvelles.
Irène Adler fait l’objet d’une nouvelle à elle seule en miroir du Scandale en Bohème, sur fonds de succession royale. Elle sera gratifiée du surnom “La salope” par Moran et Moriarty et reste la seule femme à avoir réussi à berner le professeur (et Sherlock).
Moriarty, un récit steampunk?
Chez Bragelonne, ce n’est pas un parti pris de mettre en avant Moriarty comme un récit Steampunk. Il y a certes un travail de mise en page très soigné, avec une tranche argentée, une couverture élégante, des dessins dans les paginations qui pourraient laisser penser que le roman est steampunk dans sa forme. Mais le roman est paru en novembre, alors que traditionnellement les romans steampunk sont publiés en février, lors de l’opération le “Mois du cuivre”. Et la tranche est argentée et non dorée à l’instar des autres romans steampunk, parus chez l’éditeur.
Au-delà de la forme du roman, le fonds s’intéresse à de grandes figures du steampunk : Sherlock Holmes et Moriarty. Même si l’esthétisme s’éloigne des rouages et vapeurs, le style victorien est très présent et on ne peut qu’admirer le côté savant (fou) des deux génies, une thématique que l’on retrouve dans le steampunk. Grands inventeurs et amateurs de sciences sont des figures emblématiques qui ne demandent qu’à être mises en lumière. Kim Newman réussit parfaitement cette mise en lumière, malgré l’oeil critique du Colonel Moran.
Le débat reste ouvert, toujours est-il que ce roman apporte une nouvelle perspective concernant le double maléfique de Sherlock et qu’il reste un bon divertissement, steampunk ou non !