Bohème – Mathieu Gaborit

Boheme-IntegraleMathieu Gaborit est un de ces écrivains qu’on ne saurait imiter. En effet, depuis les « Chroniques des Crépusculaires » (sa première série et son plus grand succès), celui qui devint écrivain presque par hasard est devenu une figure incontournable des littératures de l’imaginaire en France. Pourtant, Gaborit n’est pas le genre d’écrivain qui se lit facilement. Ecriture sensible, récit non-linéaire, Univers originaux et complexes, on lit Gaborit autant qu’on le déchiffre et qu’on l’interprète.
Le cycle de Bohème est la principale oeuvre steampunk de Mathieu Gaborit. Composé de deux opus (Les rives d’Antipolis et Revolutsya), ce roman nous plonge dans une Europe de l’Est uchronique où, après la révolution industrielle, l’écryme -une substance dangereuse et corrosive, s’est déversé sur le continent et a isolé les grandes cités, désormais uniquement reliées entre elles par un réseau de traverses métalliques.

Résumé :

 
L’Europe est recouverte d’une substance corrosive et mystérieuse : l’écryme. Des traverses, infrastructures métalliques qui se perdent à l’horizon, surplombent cette mer de brouillard et relient les villes. Louise Kechelev est avocate-duelliste à Prague. Ses parents, en apparence honnêtes bourgeois à la tête d’une entreprise, mènent en réalité un combat souterrain contre le régime tsariste. Mais leur dirigeable transportant une cargaison compromettante disparaît un jour dans l’écryme, non loin d’une seigneurerie traversière dominée par la figure cruelle du boyard Alexis Koropouskine. Tandis qu’à Moscou, la révolution gronde et oppose les militants des Soviets aux partisans de la Propagande et du tsar, aidés par des créatures surnaturelles nées de l’écryme, Louise, d’abord réticente, accepte de s’engager, d’aider ses parents, et entame un long périple sur l’écryme.

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Illustration : Sam Van Olffen

L’avis de French Steampunk :

Bohème est non seulement une des premières oeuvres steampunk française publiée par Mnémos à une époque où le terme était encore très obscure (1997), mais c’est aussi un roman unique, foisonnant d’idées, échappant à tous les stéréotypes du genre.

Tout d’abord, il y a beaucoup de choses à dire sur cet univers froid et obscure : Avec l’apparition de l’écryme (dont on n’apprendra que très peu de choses), le monde a été bloqué à son niveau d’industrialisation et le progrès fut stoppé net par le joug totalitariste de la vieille aristocratie et de la Propagande. Face à ce système immuable, la contestation sociale et politique s’organise clandestinement, et la Révolution s’apprête à éclater. C’est dans cette ambiance « fin de siècle » que l’on découvre le personnage de Louise Kechelev, anti-héros peu concernée au départ par les lubbies révolutionnaires de ses parents. Mais au fur et à mesure du dangereux chemin qu’elle parcourra, Louise va commencer à cerner la véritable nature de l’écryme et de Bohème, cette soit disant Cité que quelques illuminés cherchent désespérément.
Avec le style poétique et intuitif qu’on connait de Mathieu Gaborit, le roman dessine les traits d’un monde riche et enivrant que le lecteur aura du mal à oublier. La seconde partie du roman qui oublie Prague pour s’intéresser à la révolution moscovite est néanmoins moins réussie que la première, le lecteur étant parfois entrainé vers des personnages secondaires dont on ne saisit pas forcément la portée. Mais la fin du roman est proprement renversante : elle offre une piste de lecture pour l’univers, pour le roman lui même, ainsi que pour la nature de l’écryme et de Bohème. On retiendra finalement la fabuleuse histoire d’un monde industriel, glacial et sombre glissant peu à peu vers la magie et le fantastique, si bien que la réalité dure et tangible se mélange sensuellement au rêve et à l’hallucination.
La lecture n’est pas aisée, et Mathieu Gaborit laisse une grande part du travail au lecteur : c’est à lui de saisir ce qu’il peut pour que Bohème devienne, tel le golem de Prague, la mise en abyme palpable et vivante du Roman (avec un grand « R »), des histoires, et de la fiction en général. Mais si cet exercice littéraire peut être assez éprouvant, la récompense au final sera le sentiment d’avoir participé à une grande expérience : celle d’un livre où on parvient à trouver un peu de Bohème, un peu de l’auteur, mais aussi un peu de soi.

Pour aller plus loin :

– vous pouvez aussi lire Confessions d’un automate mangeur d’opium, écrit à 4 mains par Mathieu Gaborit et Fabrice Colin. Nettement plus récréatif et facile d’accès que Bohème.

– Pour approfondir l’univers de Bohème et peut être vous aussi vivre des aventures dans ce monde étrange, nous vous conseillons de vous procurer le jeu de rôle Ecryme. Cette gamme de jeu a été créé en 1994 par Mathieu Gaborit et Guillaume Vincent. La disparition de ce dernier a notamment été un élément déclencheur pour l’écriture de Bohème. 20 ans plus tard, en 2015, les éditions Matagot rééditent ce jeu. Jetez y un œil.

– La série de BD « Le cycle d’Ostruce » prend elle aussi place dans l’Europe de l’Est. Encore une fois, il est question de révolution. Mais cette fois, au dessus de la neige tombante volent des dragons !

– Vous trouverez aux éditions Mnémos un dyptique prenant place dans ce qui s’apparente à la Russie du XIXème siècle. La loi des mages est cependant une oeuvre d’Henri Lion Oldie, pseudonyme d’un duo d’écrivain ukrainien développant une fantasy exotique et atypique.